Alors qu’un sondage de QAResearch (1) vient de montrer que 92% des Français veulent savoir comment sont élevés les animaux qu’ils consomment, Marion est déjà passée derrière le rideau. En rentrant au lycée agricole à 15 ans, elle a découvert les conditions de vie des animaux dits « de ferme ». Castration des porcelets sans anesthésie, confinement des truies, séparation des veaux dès la naissance pour préserver la production du lait de vache… Les premiers stages ont fortement ébranlés la jeune fille. Très sensible à la défense des animaux de compagnie mais aussi des pandas et autres tigres menacés de disparition, la lycéenne de Mayenne a découvert là le triste sort des animaux d’élevage. Au bout de quelques mois, alors qu’elle n’avait pas envie de s’endurcir comme ses camarades, elle est devenue végétarienne. En terminale, Marion a fini par quitter son lycée agricole avant de passer son bac. Et pour témoigner de son expérience au delà de son cercle amical, elle a ouvert un blog sur le sujet de la souffrance en élevage.
De plus en plus de jeunes sensibles à la cause animale créent des blogs et se rapprochent d’associations de défense des animaux comme L214. Grâce à Internet, ils ont facilement accès à de nombreuses informations sur la souffrance animale et les différents moyens d’agir pour la faire reculer : ne pas porter de fourrure, privilégier les produits non testés sur des animaux, ne pas aller voir des spectacles de cirques avec des animaux, adopter des chiens et chats en refuge plutôt que de les acheter dans des animaleries… Quand ils veulent cesser de manger de la viande, la blogosphère leur permet aussi de trouver des arguments médicaux pour contrer leurs nombreux détracteurs. Et leur explique les bases d’un régime végétarien et comment remplacer la viande et le poisson par les protéines végétales que contiennent les céréales, le soja et les légumes secs, La blogosphère leur permet aussi de se sentir moins seuls quand ils décident de faire leur « coming-out » de défense animale.
Pour Marion, le fait de devenir végétarienne en lycée agricole a relevé du combat. « Mes amis l’ont mal pris, se souvient-elle. Ils me disaient que j’étais folle et que j’allais avoir des carences. Mes parents, eux, ont commencé par refuser de me voir cesser de manger de la viande. Un médecin leur avait prétendu que j’allais mourir en suivant un régime végétarien. Heureusement, j’ai trouvé du soutien sur les forums de Végéweb. » Grâce à la blogosphère, les jeunes trouvent aussi des documents pour déconstruire les idées préconçues de leur entourage. Car avec ou sans viande, le fait de vouloir défendre les animaux est souvent perçu comme une sensiblerie d’enfant sans intérêt. « Quand ma grand-mère me dit que les animaux sont faits pour être mangés, je lui répond que c’est comme affirmer que les femmes sont faites pour faire des enfants et le ménage. » Pour Camille, lycéenne de 15 ans en Ile-de-France, le passage au tout végétal à l’âge de douze ans a été moins difficile. Fille de parents d’origine argentine, plutôt grands amateurs de viande, elle a réussi à convaincre sa mère de lui cuisiner ses plats végétariens. « Ce sont plutôt mes copines qui ont tenté de me décourager, explique-t-elle aujourd’hui. Elles me disaient que j’aurais trop de mal à me passer du goût. Même les plus sensibles à la cause animale ne comprenaient pas mon choix. Mais j’ai toujours été plus ou moins dégoûtée par la viande et le sang, la viande ne me manque pas du tout. » A 15 ans, Camille a manifesté pour la première fois début juin pour la fermeture des abattoirs. Elle essaie de mobiliser ses amis, sans toujours parvenir à se faire entendre. « Pour moi, il existe une raison à la présence des animaux sur la Terre. Mais ils ne sont pas là pour qu’on les tue ou qu’on les fasse souffrir. Dans le club d’équitation où je vais chaque semaine, j’ai réussi à convaincre une amie de devenir végétarienne. » Pour la petite sœur de Marion, Estelle, l’engagement dans la défense animale a été plus simple, son aînée avait déjà désamorcé le conflit. A 12 ans, Estelle est végétarienne et manifeste aussi pour la fermeture des abattoirs. « Quand j’ai arrêté de manger de la viande, mes amis m’ont dit que j’étais folle. Du coup, je ne parle plus de ça avec eux. Mais j’ai deux amies avec qui nous partageons les mêmes idées sur les animaux. Elles voudraient devenir végétariennes mais leurs parents ne veulent pas. »
Dans la défense animale, l’option de passage au tout végétal est souvent une source de tension. Tant qu’il s’agit de s’émouvoir des animaux maltraités et de promouvoir les adoptions en refuge, les parents trouvent cela normal. Au-delà, l’engagement des jeunes devient plus compliqué. A 12 ans, Laura et Alexiane animent depuis deux ans un blog baptisé maltraitance animale pour dénoncer les mauvais traitements infligés aux animaux. Vivant dans une petite commune près de Vitrolles, Laura possède plusieurs animaux de compagnie. Dont deux chèvres que la famille avait achetées pour nettoyer la pinède. « Les animaux sont une passion pour moi, je me sens bien avec eux, analyse-t-elle. Ce sont des êtres vivants comme nous, je suis révoltée de voir qu’on puisse leur faire du mal alors qu’on ne se fait pas la même chose entre nous. » Dans l’entourage de sa famille, Laura a rencontré Brigitte, une militante active de l’association L214. Cela lui a permis de mieux comprendre les enjeux de la défense animale. Mais pour Laura, le fait d’arrêter de manger de la viande n’est pas d’actualité, même si elle y a déjà pensé. Pour d’autres enfants, le menu 100% végétal n’est pas une option mais une tradition familiale. C’est le cas de Calista, 6 ans, fille de militants végétaliens. La petite fille a commencé toute jeune à défiler dans les manifs en scandant son premier slogan : « Pas de bobo aux animaux ». En grandissant, Calista a progressivement compris que tous les Français ne partageaient pas la conception de ses parents. En découvrant que la plupart des familles mangent des œufs, qu’elle considère comme les futurs bébés des oiseaux, elle a été littéralement horrifiée. Lorsqu’elle croise une dame habillée en fourrure dans le métro, elle lui jette des regards les plus noirs possible. Et lorsque son père va faire les courses au supermarché, il hésite désormais à l’emmener. Du haut de son caddie, Calista aime haranguer les clients pour les convaincre de ne plus acheter ni viande, ni poisson, ni œuf, ni produits laitiers…
Qu’ils soient plus ou moins militants et végétariens, les enfants sensibles au sort des animaux peuvent désormais compter sur un réseau social pour ne plus se sentir isolés dans leur cause. Début juillet, une jeune collégienne de Rouen a ainsi lancé une pétition pour interdire la dissection d’animaux en classe au motif que ce ne sont pas des objets. En Belgique, l’association de défense animale GAIA possède un service éducatif qui anime 200 séances de sensibilisation dans les écoles chaque année. Selon l’animateur Dominic Hofbauer, les jeunes sont aujourd’hui plus sensibles au sort des animaux. « La société prend progressivement conscience de l’individualité des animaux, notamment via les documentaires télévisés qui vulgarisent les travaux en éthologie et confirment que, comme nous, chaque animal est un individu unique avec une vie émotionnelle, des liens affectifs, une « intelligence », une conscience… Les enfants sont très réceptifs à ces séances, qui nécessitent une approche qui soit scientifique et en phase avec les programmes scolaires. Cela pose une question à la fois simple et urgente : comment la capacité des animaux à souffrir engage-t-elle notre responsabilité dans les différents usages que nous en avons. » En Grande-Bretagne, les associations ont surtout connu une augmentation importante du nombre d’enfants végétariens dans les années 1990. « Ressentir de l’empathie pour nos semblables est naturel chez les enfants, estime Phil Brooke, responsable éducatif chez CIWF (Compassion in World Farming). Ils ne sont pas nés avec l’idée préconçue que la souffrance des animaux est moins importante que celle des humains. » Chez nous, les clubs SPA n’enregistrent pourtant pas beaucoup plus d’adhérents qu’il y a dix ans. Mais sur la Toile, les jeunes aspirants au militantisme de défense animale ont désormais leurs sites : GAIA Kids ou Peta kids pour les jeux sans oublier les dizaines de vidéo dénonçant les maltraitances animales dans la vie courante et dans les élevages.
Florence Pinaud
Notes
1 – Sondage en ligne de QAResearch mené en France, en Angleterre et en République Tchèque, pour le compte de Compassion In World Farming (CIWF), Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA), Soil Association et World Society for the Protection of Animals (WSPA). Ces derniers mènent une campagne, appelée Question d’étiquette, pour l’étiquetage obligatoire basé sur le mode d’élevage des animaux.
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