Depuis mi septembre, l’Office national des forêts (ONF) loue certains domaines publics aux chasseurs pour leur permettre de traquer le cerf. En cette période de reproduction, les grands cervidés brament pour attirer les femelles et sont ainsi bien plus faciles à débusquer et à dégommer pour ramener un joli trophée à accrocher dans le salon. Cette année, la pratique a déclenché une véritable fronde dans le Tarn, en Midi-Pyrénées. En effet, l’ONF n’a rien trouvé de plus malin que d’interdire la forêt de Grésigne aux promeneurs entre le 15 septembre et le 15 octobre avec des panneaux expliquant que la priorité avait été accordées aux chasseurs de cerfs (et pas aux chasseurs de champignons).
L’excuse placardée aux entrées était ainsi tournée : « les cerfs mettent en péril le renouvellement de la forêt et causent des dégâts dans les cultures riveraines. » Qui n’a jamais vu un cerf piétiner consciencieusement un champ de maïs après avoir arraché quelques jeunes chênes au passage ne peut pas comprendre la subtilité scientifique de cette affirmation ;). Je ne savais pas que les cerfs avaient rejoint la liste des animaux nuisibles, mais pour l’ONF, c’est apparemment le cas. Pourtant, à part lorsqu’il est poursuivi par une horde « d’intellectuels de la chasse », le cerf est plutôt placide. Même lorsque deux jeunes mâles cherchent à s’imposer sur un territoire, ils s’affrontent visuellement en essayant de montrer qu’ils sont plus forts et n’en viennent que rarement aux bois.A Grésigne, les panneaux ONF ont donc semé une sacré zizanie. Il faut dire que les riverains de la forêt ont déjà connu une fin de chasse à courre sanguinaire ayant donné lieu à un dépôt de plainte. Mais cette année, devant la colère ambiante, l’office a du battre en retraite et retirer au plus vite ses panneaux.
Selon l’association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), la motivation de l’ONF est surtout pécuniaire. Car en cette période, c’est bien lui qui vend les droits de chasse en forêt sous la forme de lots. Or, le prix du lot Grésigne serait de l’ordre de 50.000 à 60.000 €. Un gain auquel s’ajoute l’achat obligatoire d’un bracelet « cerf » (ou permis de tuer) pour un tarif de 70 à 80 € par chasseur. Avec un tel impact économique, on comprend mieux l’empressement de l’Office à ménager la tranquillité des chasseurs. Car après le douloureux rapport d’information du sénateur Joël Bourdin sur la situation de l’ONF publié en 2009, on imagine qu’il tient à redresser l’état de ses comptes. Selon ses propres chiffres, les recettes globales générées par ces droits de chasse s’élèvent à 31 millions d’€ par an. Sur un budget annuel d’environ 700 millions d’€ pour 10.000 agents, ces presque 5% de recettes sont sûrement fort appréciées.
Lorsque le directeur de l’ONF interdépartemental est interpellé sur la valeur de ces recettes et leur poids face à la liberté des promeneurs, il précise à la Dépêche du Midi que ces droits sont bien moins lucratifs que dans le Nord-Est de la France. Mal à l’aise dans son rôle commercial, il laisse néanmoins imaginer un petit gisement économique. Le gouvernement Ayrault va-t-il y voir une piste de recettes, comme les chasses à l’éléphant d’Afrique chèrement monnayées auprès des riches occidentaux (comme le roi d’Espagne récemment épinglé sur le sujet) ? D’autant que sur le sujet, l’ONF a un argument imparable : les tableaux de chasse des fous de la gâchette seraient de plus en plus importants (notamment pour les cerfs et les sangliers). Ce qui d’après le même Office prouverait qu’il y a de plus en plus de gibier. Penser que cette augmentation pourrait résulter de meilleures performances techniques des fusils de chasse n’est apparemment pas venu à l’esprit de ces éminents spécialistes de la forêt. Voilà qui doit drôlement chagriner les industriels du secteur dont on ne reconnaît pas les innovations technologiques à leur juste valeur. Mais bon…
L’ONF explique aussi sa gaffe par le fait de chercher à éviter les accidents en forêt de par le sulfureux mélange de chasseurs et de promeneurs. On peut néanmoins se demander pourquoi quelques maniaques de la poudre pèseraient plus que des centaines d’amoureux de la nature (sans oser imaginer qu’il s’agit d’une basse question d’argent). Quant à savoir s’il est normal qu’un établissement censément public interdise un domaine public aux Français sous prétexte de son exploitation économique, c’est une autre histoire. Il faut croire que les études d’entretien forestier ont fait l’impasse sur le concept de démocratie.