Elle est le premier grand singe à se voir reconnaître le droit à la liberté par une cour de justice moderne. Elle, c’est Sandra, une femelle orang-outan qui est née en captivité et vit depuis vingt ans au zoo de Buenos Aires. Depuis le 21 décembre 2014, Sandra a été reconnue « personne non humaine » ce qui remet en question le droit de la maintenir en captivité. A l’origine de cette décision, l’AFADA est une association sud américaine de fonctionnaires et d’avocats mobilisés autour du droit des animaux. Pour obtenir ce verdict, l’association s’est basée sur un borborygme juridique : « l’Habeas corpus », c’est-à-dire la possibilité de remettre en question une détention ou un emprisonnement. Pour la cour de justice argentine saisie, les capacités cognitives de Sandra (son intelligence) rendent impossible le fait de la traiter en tant qu’objet. Ainsi, sa captivité arbitraire et non justifiée devient un affront à sa liberté. Une décision qui tranche fondamentalement avec les habitudes humaines en matière de traitement animal et pourrait laisser espérer de grandes avancées vers un plus grand respect… mais pas tant que ça, dans les faits.
A petits pas…
Sur le sujet, les spécialistes du respect animal restent prudents. En effet, ce jugement argentin ne va pas forcément s’appliquer à l’ensemble de la planète. Déjà, douze mois auparavant, une décision opposée à celle de Buenos Aires avait été rendue par une cour de justice new yorkaise. Saisis par l’association Nonhuman Rights Projects sur la base du droit à vivre en liberté, les juges américains avaient estimé que les chimpanzés concernés n’étaient pas des personnes, car ils n’ont pas de devoirs et ne sont soumis à aucune responsabilité sociale. D’après ces juges, ils ne peuvent donc pas bénéficier des droits garantis par l’Habeas corpus. Une décision qui laisse songeur quant au sort des humains très handicapés qui ne sont pas non plus tenus pour responsables de leurs actes… Il me semblait pourtant que ces êtres vivants-là bénéficient du statut de « personne » et qu’on n’avait pas le droit de les détenir en captivité de manière arbitraire… Peut-être les juges new-yorkais ont-ils séché ce cours là pendant leurs études de droit.
Difficile d’ignorer la conscience animale
Pour la philosophe Florence Burgat ou le juriste Jean-Marc Neumann, sans sonner la révolution, cette décision de justice est un pas de plus dans la longue marche vers une nouvelle manière de traiter les animaux en accord avec ce que l’on sait sur eux. Qu’elle concerne un grand singe n’étonne pas la philosophe citée par Libération. Le fait que les recherches cognitives sur les grands singes soient nombreuses ne permet plus d’ignorer ni leur sensibilité, ni leur individualité ni leur forme de conscience. Déjà, les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans et les bonobos bénéficient de » droits humains » dans la législation espagnole. En Inde, le gouvernement s’est prononcé contre la captivité des dauphins interdisant les delphinariums dans le pays. Une décision qui porte aussi sur un animal dont la science a prouvé et l’intelligence et l’individualité. Grâce aux résultats des études scientifiques menées autour des comportements animaux, il est aujourd’hui plus compliqué de continuer à les traiter comme des choses. Car leurs défenseurs font désormais appel au droit. Or, si les textes juridiques protègent bien les humains, ils n’avaient pas prévus les découvertes éthologiques prouvant la conscience et la sensibilité animale. Du coup, il devient possible d’invoquer ces textes pour d’autres animaux que les humains et s’il n’est pas question d’accorder les mêmes droits aux animaux qu’aux hommes, il devient possible d’envisager de leur accorder certains droits spécifiques. Dans cet objectif, faire appel aux juges est plutôt malin. Ils sont souvent moins sensibles que le sont les politiques aux pressions des lobbys des éleveurs ou de la chasse.
Sauf quand on est un parlementaire français
En France où ces lobbys sont très puissants, nous sommes encore à la traîne dans la marche vers le respect animal. En janvier 2015, le Sénat devrait examiner un petit amendement reconnaissant que les animaux ne sont plus de simples choses (des biens meubles) mais des êtres vivants doués de sensibilité. Cela dit, ils resteront quand même soumis au régime juridique des biens (donc des choses), alors que des associations et certains parlementaires demandaient qu’on les fasse bénéficier d’une catégorie à part. Mais les auteurs de cet amendement ont bien veillé à ce que sa portée reste limitée et ne permette pas aux défenseurs des animaux d’en étendre les droits. Pourtant, même s’ils étaient à l’école dans les années 1950 ou 1960, ces parlementaires français ont bien eu des cours de biologie montrant que les animaux ont des circuits nerveux et qu’ils possèdent donc une sensibilité et une nature bien différente de celle d’un sac de farine ou d’un fauteuil. Sans doute était-ce encore un cours qu’eux aussi ont séché.
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