Un zoo dans la tête

Cecil le lion au parc naturel de Hwange

Cecil le lion au parc naturel de Hwange

Depuis quelques semaines, il doit avoir du mal à dormir. Accusé, insulté, menacé, ce « pauvre » dentiste Walter Palmer est bien à plaindre ;) Devant son cabinet dentaire, plus aucun client mais des centaines de manifestants énervés. Même situation devant son domicile – dont l’adresse semble avoir été diffusée par les Anonymous. Sans parler de sa maison secondaire qui vient d’être vandalisée. Car après sa dernière grande traque sauvage  aux frontières d’un parc naturel du Zimbabwe, ce chasseur compulsif a mis le feu aux réseaux de défense animale, et même au-delà. Pour la première fois, la mort d’un lion provoque une immense indignation internationale.

Walter Palmer posant devant son trophée mort

Walter Palmer posant devant son trophée mort

Il faut dire que Cecil n’est pas un lion comme un autre. Avec sa crinière sombre, il était l’un des symboles du parc animalier Hwange. Représenté sur de nombreux posters, il attirait les touristes étonnés par sa particularité capillaire. Il avait même été « pucé » par des scientifiques anglais dans le cadre d’une étude sur la vie des lions. Avec un prénom, une particularité et un statut d’icone, ce lion traqué à mort a donc mobilisé des millions de personnes. Car avant d’être un animal africain chassé comme tant d’autres, il symbolise parfaitement le peu qu’il reste de nature en liberté. Une nature contre laquelle quelques occidentaux fortunés aiment à s’acharner à coup de dollars. Ben oui : «  C’est qui le maître absolu sur cette fichue planète ? » Faudrait quand même pas l’oublier ;) Un symbole, voilà ce qui a conduit la énième traque du dentiste à transformer le chasseur en proie. Et qui a incité la toile en colère à égrener toutes ces informations qui n’arrangent vraiment pas son cas. Le lion a été attiré hors du parc – où il était à l’abri – par un leurre ; le chasseur qui prétend chasser à l’arc n’a tiré qu’une flèche avant de poursuivre l’animal blessé pendant des heures à bord d’un 4X4 et… de l’achever au fusil. Ce fou du trophée n’en est pas à se première condamnation pour « chasse » illégale, sans compter une condamnation pour harcèlement sexuel à son cabinet dentaire. Tout un palmarès peu reluisant comme l’explique la Libre Belgique. Bref, l’arracheur de dents va avoir bien du mal à s’en remettre.

« Farid de la Morlette » se vante sur Facebook de martyriser un jeune chat.

« Farid de la Morlette » se vante sur Facebook de martyriser un jeune chat.

Ces humains arrogants qui s’attaquent aux animaux sauvages ou domestiques commencent à fatiguer nos sociétés occidentales. Au printemps, le jeune Robin Marcheras finissait par se suicider. Jugé et condamné pour avoir martyrisé et tué un chat à coups de pied à Vouziers, il affirmait ne plus supporter les insultes et menaces des défenseurs de la cause animale. Mais il craignait aussi sans doute sa prochaine incarcération puisqu’il avait écopé de 6 mois de prison.  Autre grande « victime » de la colère des amoureux des bêtes, ce restaurateur de Brissac-Quincé (Maine-et-Loire) condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir brûlé un chat à la soude caustique. Lors de l’audience de janvier 2015, l’avocat du prévenu expliquait que depuis la mobilisation, son client avait du fermer son restaurant et allait devoir déménager. Décidément, on ne peut plus martyriser et traquer des animaux tranquillement sans risquer l’opprobe, voire la prison. C’est moche :)  Même si les peines dépassent rarement des peines avec sursis – alors que le code pénal prévoit deux ans de prison et 30.000 € d’amende – on commence à voir des condamnations à la prison ferme. En février 2014, « Farid de la Morlette » avait ainsi récolté d’un an ferme pour avoir torturé le jeune chat Oscar en filmant son « exploit » publié sur Facebook. Plus récemment aux Etats-Unis, un an pour avoir volontairement écrasé neuf canetons avec sa tondeuse à gazon sous les yeux horrifiés de la famille qui les nourrissait.

Manifestation contre Walter Palmer

Manifestation contre Walter Palmer

Les collectionneurs sanguinaires de trophées et autres sadiques qui torturent des animaux par goût de la violence facile commencent à être dénoncés et punis. En juillet, les réseaux sociaux se sont véritablement déchainés sur les chasseurs d’animaux sauvages qui aiment exposer leurs trophées pour montrer combien ils ou elles sont fort(e)s, et malin(e)s, et puissant(e)s…Mais pourquoi cette évolution ? D’une part, comme l’explique le jeune sociologue français Jérôme Michalon dans Le Plus de l’Obs, le fait que ce lion ait un nom et une vraie particularité le rend irremplaçable. Et fait basculer le fait de le chasser dans la catégorie de meurtre, un mot jamais employé pour des animaux sauvages. Car avec un nom et une identité, ce lion là est devenu un individu. Au même titre que le jeune girafon Marius, euthanasié au zoo de Copenhague et qui avait aussi suscité émoi et réprobation. S’il est acquis que les chiens et chats de nos maisons aient tous un nom et une individualité, les animaux sauvages, comme la plupart des animaux d’élevage, en ont toujours été privés. Sauf dans les pub agro-alimentaires et les films de Disney. Voilà qui commence à changer avec cette manie des zoos à transformer leurs animaux en vedettes pour la promo, un mouvement qui en dit long sur l’évolution de nos rapports aux animaux.

Manifestation contre Walter Palmer pour le lion Cecil

Manifestation contre Walter Palmer pour le lion Cecil

Autre réflexion sur le sujet, notre empathie de plus en plus forte pour les êtres vulnérables et les animaux. Dans une récente étude, des chercheurs américains de Northeastern ont montré que les personnes étaient plus touchées par le récit de souffrances infligées à un enfant que la même situation dont serait victime un adulte. Mais elle a aussi montré que les sujets étaient plus émus quand cette souffrance était infligée à un chiot et même un chien, que quand la victime était un adulte. Cela dit, cette empathie est fortement liée à la popularité des animaux,comme l’explique un article de Slate. En effet, elle décline grave quand les bestioles qui souffrent sont des rats de laboratoire ou des poules pondeuses sur lesquelles il est bien plus difficile de mobiliser.

Le lion Cecil icone du parc naturel Hwange au Zimbabwe

Le lion Cecil icone du parc naturel Hwange au Zimbabwe

Mais bon, on assiste déjà à un début de prise de conscience de la brutalité avec laquelle nous nous permettons de traiter nos voisins de planète depuis si longtemps. Bien sûr, cette réflexion est rendue possible par le confort de notre vie occidentale. Nous n’avons ici ni terre, ni eau, ni ressources à disputer aux animaux sauvages (on a déjà mis la main sur tout ou presque). Mais au Zimbabwe, ce tollé mondial pour la défense de Cecil étonne et agace un peu les habitants. D’une part, la majorité d’entre eux n’ont jamais entendu parler du lion Cecil. De l’autre, le manque d’eau potable et d’électricité leur semblent bien plus grave que la sauvegarde d’un lion. Or peu d’Occidentaux se soucient de l’avenir des familles du Zimbawe, c’est vrai. Mais voilà, la triste fin de Cecil le lion est avant tout un symbole. Un symbole de l’arrogance de l’Occident et des pays riches qui se permettent de piller la nature au mépris des quelques lois qui la protègent. Et puis dans la mesure où l’homme a pris le pouvoir sur la planète, on peut parfois trouver sacrément injuste de continuer à maltraiter ceux qu’on a déjà chassés de leurs territoires et enfermés dans des cirques ou des laboratoires. Et puis pourquoi devrait-on absolument hiérarchiser notre émotion ? Pourquoi devrait-elle aller en priorité à d’autres humains ? Quel dogme impose de s’occuper des pauvres avant de s’inquiéter des lions, des girafes ou des chats ? Quand l’espèce humaine était rare et menacée par la faune sauvage, je veux bien qu’il ait été logique de défendre les hommes avant tout pour assurer la survie de l’espèce. Mais aujourd’hui, franchement, on ne sait plus ou les caser, les humains, sur cette fichue planète. C’est l’homme qui domine, il a pris le dessus et il n’a plus rien à prouver à ce sujet. Pourtant, certains se sentent encore obligés de battre des chiens, d’éventrer des blaireaux et de traquer des fauves pour se sentir supérieurs et puissants. Il a du être un petit garçon bien malheureux Walter Palmer pour avoir  à ce point besoin de s’afficher en tueur de bêtes sauvages. Il a dû se sentir bien minable pour avoir tant d’estime de soi à aller chercher à coup de flèches et de fusil. C’est dommage, il aurait pu se lancer dans une carrière scientifique ou littéraire et viser un Nobel pour se sentir important et unique. Mais voilà, apprendre à tirer est plus facile et rapide que des années d’études scientifiques ou des années de lettres. C’est bête. Suivre @zoodanslatete NB : les lions sont de plus en plus souvent élevés pour être chassés comme d’autres animaux sauvages d’Afrique.. Voir le billet sur Le lion est tombé de son trône.

2 commentaires
  1. Omegane8 août 201509:36

    Quel excellent article ! Belle analyse, fine et percutante. On en veut encore. Merci.

    • admin9 août 201509:31

      Merci Omegane, contente qu’il ne vous ai pas échappé. Je vais prendre le temps de me remettre à poster un peu.

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